À l'heure où les problèmes nutritionnels se développent dans nos sociétés, la nutrigénomique [
ou manger en fonction de nos gènes],
une discipline naissante, tente d'y trouver des explications et de développer des solutions en se concentrant sur les interactions entre le génome et les nutriments.
Alimentation toujours plus grasse, perturbation des rythmes des repas, sédentarisation et réduction de la part de l'exercice physique dans le quotidien... Les facteurs sont nombreux pour expliquer les perturbations métaboliques et la pandémie d'obésité qui frappent le monde. En 2010, près d'un milliard et demi de personnes étaient obèses. En marge de ces difficultés, l'Homme améliore de jour en jour ses connaissances dans le domaine de la génétique. À la croisée des chemins entre les problèmes physiologiques, les progrès dans la compréhension des gènes et la nutrition, la nutrigénomique, science encore embryonnaire, veut développer des outils pour résoudre ces problèmes métaboliques. Grâce à des « signatures alimentaires », on connaîtra mieux les actions des nutriments sur le patrimoine génétique, afin d'élaborer des régimes personnalisés compatibles avec la vie moderne. Nous nourrir en bonne intelligence avec nos gènes et notre style de vie et ainsi prévenir l’apparition de problémes de santé : voici les perspectives envisagées par la nutrigénomique.
Le professeur Walter Wahli, spécialiste du contrôle génétique sur le métabolisme énergétique, détaille les aspects aussi bien scientifiques que sociaux d’une discipline qui pourrait améliorer notre santé grâce au contenu de nos assiettes. Vous découvrirez dans ce dossier des explications sur l’origine de la pandémie d’obésité, les relations bilatérales entre les gènes et les aliments que nous ingérons. Vous vous familiariserez également avec les technologies en jeu dans la nutrigénomique et leurs applications potentielles. Enfin, les aspects éthiques et sociétaux seront abordés.
Sommaire 1. La nutrigénomique dans votre assiette
2. Le problème du surpoids et de l’obésité aujourd’hui
3. Archéologie nutritionnelle : pourquoi sommes-nous obèses ?
4. De la nutrition à la nutrigénomique
5. Les liens entre nos gènes et les aliments
6. Technologies, perspectives et enjeux de la nutrigénomique
7. La génomique nutritionnelle, nouvelle alliée des régimes et de la santé
8. Nutrition et génétique : problématiques éthiques et sociales
9. Pour la nutrigénomique compatible avec l'intégrité de l'individu
10. Un livre de Walter Wahli et Nathalie Constantin : La nutrigénomique dans votre assiette
http://www.futura-sciences.com/fr/doc/t/genetique/d/nutrigenomique_1570/c3/221/p1/#xtor=EPR-43-[EVT]-20130222-[DOSS-la_nutrigenomique_dans_votre_assiette
L’étude des interactions entre nutriments et gènes doit faire face à une complexité engendrée par la diversité génétique entre les êtres humains, les innombrables mécanismes métaboliques avec lesquels il est possible d’interférer ainsi que la complexité de l’alimentation. Nous ne sommes pas tous égaux face à l’alimentation. Bien que notre ADN soit à 99,9 % identique à celui de nos voisins, amis, collègues ou correspondants du bout du monde, ce petit 0,1 % restant détermine le fait que chacun de nous est unique. Dans le jargon génétique, on parle de « polymorphisme génétique » pour désigner ces différentes formes (ou variants) du matériel génétique. Ce polymorphisme génétique qui nous singularise explique la variabilité des réponses individuelles aux divers facteurs environnementaux tels que l’alimentation et les traitements médicamenteux. Dans le contexte de l’obésité, nous nous distinguons non seulement par notre façon de métaboliser certains composants alimentaires comme les sucres et les graisses, mais également par l’intensité de notre envie de manger.
La nutrigénomique étudie les effets de l’alimentation sur le patrimoine génétique,
tandis que la nutrigénétique se concentre sur les particularités génétiques de chacun. © DR Nutriments et expression des gènes L’action des nutriments sur notre génome constitue le centre d’intérêt de la nutrigénomique, l’autre volet de la génomique nutritionnelle. Certains nutriments, et en particulier des carences en certains nutriments, peuvent endommager directement le matériel génétique, au même titre que l’exposition à des radiations UV ou à des substances chimiques carcinogènes, par exemple. Cependant, l’influence majeure des nutriments sur notre patrimoine génétique concerne l’expression des gènes, c’est-à-dire leur mise en activité ou sous silence. Les gènes sont des séquences d’ADN que l’on peut considérer comme les plans de construction pour la production de protéines spécifiques, les travailleurs de notre organisme. Dans ce contexte, certains composants des aliments (acides gras, vitamines, oligoéléments) agissent comme des signaux qui contrôlent l’activité des gènes.
Certains nutriments peuvent modifier l’expression des gènes en induisant un ensemble de modifications chimiques stables mais potentiellement réversibles de l’ADN, sans modifications du code génétique. On les appelle des modifications « épigénétiques ». Ce mode de régulation, qui met à disposition de la cellule un système d’allumage ou de verrouillage de certains gènes, est également sensible aux expositions environnementales. Il se trouve donc également être un moyen de garder une trace d’événements qui jalonnent la vie d’un organisme, en particulier pendant la vie fœtale et dans les premiers temps de la vie postnatale. Pendant longtemps, ces « épimutations » ont été considérées comme irréversibles au cours de la vie d’un individu, en raison de leur caractère particulièrement stable. On peut en effet les analyser sur une momie de 5.000 ans. Elles peuvent d’ailleurs être parfois transmises d’une génération à l’autre. Cependant, les recherches ont montré qu’elles peuvent être réversibles notamment au moyen de nutriments capables d’induire ou d’effacer des « épimutations ».
Conséquences des nutriments sur le génome Les constituants de notre alimentation interagissent avec notre patrimoine génétique et sa régulation à plusieurs niveaux, ce qui laisse entrevoir l’énorme potentiel d’une nutrition adaptée dans le domaine de la santé. Dans ce contexte, les principaux buts de la nutrigénomique résident dans la mise en évidence de nouvelles interactions génome-nutriments, ainsi que dans la compréhension des mécanismes sous-jacents. L’étude des conséquences directes de certains nutriments sur l’intégrité du génome ne peut être appréhendée qu’en accordant une place primordiale aux effets combinés de divers nutriments, c’est-à-dire en prenant en compte les différentes proportions des composants ainsi que leurs synergies et compétitions potentielles.
http://www.futura-sciences.com/fr/doc/t/genetique/d/nutrigenomique_1570/c3/221/p5/