Journalisme : Un sujet sale que l’on ne peut toucher que si l’on n’a plus rien à perdre[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Invité, puis déprogrammé de l'unique émission de radio de la RTBF sur
les médias (la bien nommée : "L'envers des médias"), Olivier Taymans
sort d'une projection-débat consacrée à son film par le cinéma
bruxellois Nova. Entretien avec l'auteur du premier documentaire
francophone sur le malaise journalistique autour des attentats du 11
septembre.
Comment vous est venue l'idée de questionner et de mettre en
critique la couverture médiatique francophone des attentats du 11
septembre ?Olivier Taymans : C'est venu en plusieurs temps. Lorsque Thierry
Meyssan a sorti son livre (« L'effroyable imposture »), je l'ai
interviewé dans une émission de radio que j'animais à l'époque (Radio
Campus, ULB). Puis, j'ai cherché des contre-points aux thèses de Meyssan
et j'ai trouvé plusieurs personnes qui critiquaient son travail avec
sérieux. Je les ai aussi interviewées. Sans vraiment pouvoir trancher,
il y a avait déjà matière à s'interroger sur le rôle des médias dans
leur couverture du 11 septembre. Très vite, le traitement médiatique
envers Thierry Meyssan n'a plus été ni honnête ni équilibré. Mais en
tant que critique de médias, ce phénomène habituel ne m'a pas paru
surprenant. Bref, je suis passé à autre chose. Jusqu'en 2004, où
j'apprends qu'un troisième gratte-ciel new-yorkais, le bâtiment n°7,
s'était effondré le 11 septembre 2001 (sans avoir été percuté par un
avion, ndlr). A nouveau intrigué, ce qui va définitivement me lancer sur
cette enquête, c'est une séquence diffusée en 2006 au JT de la RTBF. Il
s'agit de ces fameuses images de l'attentat sur le Pentagone, prises
d'une caméra de surveillance. Si l'on voit effectivement une explosion,
on ne voit pas du tout ce qui percute la façade du bâtiment. De mémoire,
ces images étaient accompagnées du commentaire journalistique suivant :
« On voit brièvement et clairement un Boeing rentré dans le Pentagone
et donc les théories du complot sont nulles et non avenues » ... Là, je
me suis dit : « on est arrivé à un point où le gars peut dire le
contraire de ce qu'il montre lui-même ! ». Il y avait une schizophrénie
totale. Du coup, l'aspect psychologique de journalistes capables de
faire cela m'a intéressé énormément.
Avec cette séquence de 2006 et d'autres, la plupart des
journalistes ont-ils cessé de faire leur métier et, pour certains,
sombré dans une propagande pro-américaine ?O.T. : On peut le voir comme ça. En même temps, je refuse de tomber
dans le piège, style : « regardez ces journalistes qui manipulent ! ».
Ce qui m'intéresse, c'est la psychologie de ces journalistes qui ne
constituent pas, à mes yeux, les dernières petites mains d'un « grand
complot ». Toute l'idée de mon film réside là : examiner pourquoi un
gars, qui n'a aucun intérêt apparent, dit le contraire de ce qu'il voit ?
On voit pourtant tous la même chose que lui et ça nous amène à conclure
qu'il n'y a rien sur ces images ! Sur le coup, les médias officiels
sont tombés dans l’écueil qui consiste à mettre au service de leur thèse
des images qui ne disent absolument rien et ne démontrent rien. Si ce
journaliste ne trempe pas dans un quelconque « complot », alors,
pourquoi agit-il de la sorte ? C'est ce qui m'a intrigué.
Dans votre film, chez chaque interlocuteur francophone, on
sent une dose de malaise plus ou moins grande. C'est un documentaire sur
dix ans de malaise journalistique ?O.T : Oui, mais le premier malaise, c'est celui qu'on ne voit pas :
celui du journaliste responsable de l'incroyable séquence qui m'a lancé
sur cette enquête. J'ai tout essayé auprès de la RTBF pour obtenir cette
archive que je n'avais pas enregistré. D'une part, celle-ci illustrait
parfaitement mon sujet et, d'autre part, c'est celle qui m'avait fait
bouger. Puisque l'exploitation secondaire de ces images n'était pas
autorisée, j'ai demandé au journaliste concerné sa permission pour
disposer de son commentaire. Sur la base des mêmes images d’attentat
circulant sur le net, j'aurais réalisé un montage avec sa voix off afin
de redonner fidèlement ce que j'avais vu en 2006 au JT de la RTBF. Très
sèchement, le journaliste m'a refusé cette archive sonore ! Abandonnant
toute exploitation, j'ai demandé à pouvoir simplement visionner cette
fameuse séquence. Refusé, également. Ensuite, je suis parvenu à ce
qu'une parlementaire interpelle la ministre de la Culture et de
l'Audiovisuel en Communauté française. Sur base de l'Article 8 de la
Convention européenne des droits de l'homme, qui assure au citoyen un
accès à l'information, la députée Florence Reuters (MR) a demandé au
ministre Fadila Laanan (PS) : « Comment se fait-il qu'un réalisateur de
documentaire n'ait pas le droit de visionner une séquence produite par
le service public de la Communauté française ? ». La ministre a répondu à
côté en tartinant sur les droits d'exploitation secondaire dont ne
dispose pas la RTBF. Autrement dit, elle a répondu à l'impossibilité
d'insérer ces images dans mon film mais pas sur l'interdiction qui
m'était faite de les visionner. Florence Reuters ne s'y est pas trompée
en répliquant : « Ce n'est pas la question, Madame la ministre ! La
question est : pourquoi n'a-t-il pas le droit de visionner ces images ? »
... L'incident était clos : je n'ai jamais pu voir cette séquence ; ne
fût-ce que pour vérifier que je ne m'étais pas trompé, que je n'avais
pas rêvé son commentaire journalistique. C'était le premier malaise de
mon enquête ; tellement fort, qu'il a échappé à la caméra ! Il y a en
d'autres, mais laissons aux spectateurs le soin de les découvrir.
A deux exceptions, il n'y a aucun journaliste belge
francophone qui s'exprime dans le film. Ils ont tous refusé vos demandes
d'interview ?O.T : Exact. J'ai interpellé une série de journalistes qui,
systématiquement, soit me fuyaient et me renvoyaient vers quelqu'un
d'autre soit s'énervaient et m'insultaient. Si on leur dit que ce sujet «
11 septembre et médias » les terrorisent, ils vont le nier. Pourtant,
force est de constater qu'il y a un malaise. Je me souviens aussi de ce
journaliste d'un grand quotidien belge, auteur d'un article posant la
question : « Peut-on enquêter sur le 11 septembre ? ». Rendez-vous fût
pris. Il semblait enthousiaste, disait que mon projet était « très
intéressant » mais qu'il avait besoin de prétextes - c'est-à-dire d'un
sujet d'actualité lié au contenu de mon film - pour rédiger un article.
Le soir de notre entretien, je lui ai envoyé plusieurs prétextes
d'actualité tels que, par exemple, la venue prochaine de David Ray
Griffin en Belgique. Jusqu'à ce jour, je n'ai plus eu aucune nouvelle de
ce gars ...
En tant que critique des médias, qu'est-ce qui vous a le plus surpris dans les réponses que vous avez pu obtenir ?O.T : Ce qui m'a le plus surpris ? (bref silence) ... C'est de me
faire insulter par Bruno Clément, (éditeur et présentateur de l'émission
d'investigations Question à la Une (RTBF). Cet épisode est dans le film
car il s'agit de la plus forte illustration du malaise journalistique
concernant le traitement médiatique du 11 septembre. Néanmoins, je ne
m'attendais pas du tout à une telle réaction de sa part. Chacun est
libre de refuser une interview, mais en arriver, comme Clément, à perdre
les pédales pour s'enfermer dans une attitude ordurière de rejet, je ne
l'ai pas compris et ne le comprends toujours pas.
Vous ne pouviez ignorer que le seul fait de questionner le
travail des médias et leur relais inconditionnel de la version
officielle du 11 septembre allait vous exposer à des réactions de haine
voire développer une diabolisation à votre endroit ...O.T : Oui, bien sûr. Si ce n'est que je n'ai pas le sentiment d'avoir
eu la même démarche que, par exemple, Thierry Meyssan. Je ne pense pas
avoir d'autre thèse que celle-ci : certaines choses signifiantes
concernant le 11 septembre ne sont pas relayées par les grands médias.
Ce qui me paraît absolument démontrable. Prenons le fait qu'il existe
une série d'associations de professionnels (soit des personnes
compétentes dans les domaines qui touchent au 11 septembre ; ex-agents
de la CIA, ingénieurs, architectes, pompiers, etc.), respectés par leurs
pairs et non identifiés comme des agitateurs politiques ou des cinglés,
qui déclarent que tel, tel et tel point posent des problèmes factuels
et scientifiques. Des problèmes qui contredisent sur le fond les
conclusions de la Commission d'enquête sur les attentats du 11 septembre
! Eh bien, ce fait, hautement signifiant, n'est pas relayé par les
médias ou alors de manière extrêmement superficielle. Pendant la
réalisation du film, on m'a effectivement souvent renvoyé que j'avais
une « thèse » et que je tentais de l'illustrer en images. Ce n'est pas
le cas : qu'il s'agisse de Jean-Pierre Jacqmin (Directeur de
l'information à la RTBF, ndlr), d'Yves Thiran (ex-Directeur de
l’éthique, puis Chef de rédaction des nouveaux médias à la RTBF, ndlr)
ou de Bruno Clément, j'ai approché ces personnes sans thèse sur le fond
des évènements. Ce n'est même pas le sujet du film ! Mon sujet porte sur
la couverture médiatique de la contestation raisonnée et
non-conspirationniste de la version officielle des attentats du 11
septembre.
Pour quels motifs cette contestation raisonnée est-elle interdite de parole dans les médias traditionnels ? O.T : Très bonne question ! Et dès qu'on cherche à y répondre, on
devient un épouvantail prêtant aux amalgames et aux invectives. Si vous
posez cette question, c'est que vous avez une « thèse ». Si vous avez
une thèse, vous êtes forcément « conspirationniste », puisque vous
soupçonnez l'existence d'un « grand complot » - il est toujours « grand
», le complot ! - qui implique une bonne partie de l'élite américaine.
En conséquence : vous êtes « anti-américains » et, sans doute, «
antisémite » parce que « négationniste », puisque vous « niez » les
attentats du 11 septembre. Je n'ai jamais compris d'où venait cette
locution absurde. De la remise en questions d'un évènement historique,
on passe à la « négation » du 11 septembre lui-même. Amalgame
complètement absurde, mais qui revient tellement souvent ... La rumeur
selon laquelle les employés juifs du World Trade Center avaient été
prévenus de ne pas venir travailler le 11 septembre 2001 a dû avoir sa
néfaste influence. Pourtant, cette assertion est fausse et personne ne
la relaye ; excepté quelques extrémistes qu'il est malhonnête
d'amalgamer avec tous les gens qui osent remettre tel ou tel aspect en
question.
Dix ans plus tard, vous êtes le premier journaliste
francophone à réaliser un documentaire sous l’angle de la critique du
fonctionnement médiatique. Vos confrères des médias traditionnels
subissent-ils une totale absence de liberté ou sont-ils terrorisés par
l'idée de faire leur métier … jusqu'à risquer de le perdre ?O.T : Sur ce type de sujet, je pense que la liberté se confond avec
la curiosité. En travaillant pour les médias traditionnels, si vous
cherchez vraiment à enquêter jusqu'au bout, vous vous confronterez à un
manque de liberté. Bien sûr, on ne vit pas dans un État totalitaire avec
le bâillon sur la bouche ; par contre, on fera tout pour que vous
n'ayez pas les moyens d'enquêter ni de diffuser au plus grand nombre ce
que vous avez à dire. Dans le cadre hiérarchique d'une entreprise,
l'employeur ne vous donnera ni les moyens ni la liberté d'enquêter. En
indépendant, il faut chercher des soutiens financiers, très difficiles à
trouver pour ce type de documentaire. Avant de tourner, je suis allé
voir un producteur belge de petite taille, ouvert et soutenant des
projets alternatifs. Son refus n'a pas seulement été motivé par les
aspects « sensibles » du projet mais aussi par mon manque d'expérience
en documentaires. Je suis journaliste depuis quinze ans mais c'était mon
premier film. Ce fait incontestable combiné au côté épineux du sujet ne
l'a pas encouragé à me trouver des financements. Néanmoins, j’ai obtenu
un petit soutien financier de la SCAM (Société Civile des Auteurs
Multimédias) que je tiens à remercier ici. Ceci étant dit, si je suis le
premier sur un tel film, c'est aussi parce que d'autres
documentaristes, plus expérimentés, ne cherchent pas à traiter le sujet.
Peut-être parce qu'ils savent qu'ils n'obtiendront aucun financement ?
Je n'en sais rien.
Ou peut-être craignent-ils des sanctions professionnelles capables de nuire définitivement à leurs carrières ?O.T : Certainement. C'est ce qui explique aussi la timidité - c'est
un euphémisme ! - d'une partie de la gauche de la gauche que beaucoup
attendaient sur cette controverse. Or, des intellectuels comme Noam
Chomsky, les journalistes du Monde diplomatique ou les politiques
classés à la gauche de la gauche sont parmi les plus virulents à se
démarquer de ce sujet. A l'instar des journalistes qui font les
autruches, ces gens-là craignent énormément de perdre leur crédibilité.
Il y a eu tellement d'amalgames autour des remises en question de la
version officielle des attentats du 11 septembre que nombreuses sont les
personnalités qui ne s'associeront pas à de telles interrogations ; de
peur que toutes leurs autres activités, journalistiques ou militantes,
soient frappés de ce sceau d’infamie. C'est la loi du « Quant dira-t-on ?
». La peur qu’on dise : « Monsieur X ? Oui, mais vous savez qu'il
fricote avec les conspirationnistes ! ». C'est une sorte de contagion de
la décrédibilisation qui est encore à l'œuvre. En cela, une partie des
Français présents dans le film, qui n'ont cessé de crier à
l'antisémitisme et au négationnisme, ont engrangé un certain succès. Ils
sont parvenus à ce que des interrogations légitimes constituent
désormais un « sujet sale », qu'on ne peut toucher que si l'on n’a plus
rien à perdre ...
Unanimement respecté dans le milieu du journalisme belge,
Jean-Jacques Jespers qualifie votre sujet d'enquête de « tabou »
journalistique mais semble, lui aussi, marcher sur des œufs ...O.T : Jean-Jacques Jespers est dans une position intermédiaire. Après
trente ans de journalisme à la RTBF, il est désormais Professeur de
journalisme à l'Université Libre de Bruxelles (ULB) et n'est plus loin
de l'âge de la retraite. A ces différents titres, il bénéficie de plus
de liberté d'expression que d'autres. Sa position intermédiaire se
reflète aussi sur le fond du dossier. Jespers estime qu'il y a beaucoup
d'éléments troublants mais en reste, grosso modo, à la position suivante
: « Les autorités américaines ont sans doute eu une attitude
d'ignorance coupable. Ils étaient sans doute au courant des projets
d'attentats et les ont laissé se dérouler parce que cela les arrangeait
bien ». C'est déjà un grand pas pour quelqu'un qui a une crédibilité à
défendre.
Le cap de la commémoration des dix ans va-t-il favoriser un
vrai débat contradictoire sur cette couverture médiatique bancale comme
sur le fond du dossier ?O.T. : Cela me paraît assez mal parti. En période de commémorations,
on revient principalement sur l'émotionnel, les victimes, les
témoignages. Ces aspects ont indéniablement leur place en journalisme.
Mais ce ressort est aussi utilisé par certains pour affirmer que
remettre en question « la vérité » demeure scandaleux vis-à-vis des
victimes qui ont souffert. Pour ma part, je pense exactement le
contraire. D'ailleurs, un grand nombre de familles des victimes du 11
septembre sont parmi les gens qui remettent les choses en question. Pour
la sphère médiatique, à quelques exceptions près, il existe une
antinomie entre cette émotion qu'ils véhiculent et les idées critiques
de remise en question. Maintenant, à la décharge des journalistes, leur
position est très inconfortable. J’ai eu des échos de certains
journalistes qui ont tenté d’aborder le sujet dans leurs rédactions
respectives. Avec prudence, ils ont développé l’une ou l’autre
incohérence de la version officielle. Ils ont tous essuyé une réaction
épidermique de rejet, qui vous fait vite comprendre que si vous voulez
garder votre job, il ne faut plus insister !
« Position très inconfortable » dans l’espace francophone.
Car votre documentaire montre qu’il en va tout autrement pour les
journalistes norvégiens qui, eux, ne risquent pas de perdre leur travail
en faisant leur travail …O.T. : Oui, en Norvège, il y a au moins eu une véritable controverse.
Tous les journaux n’ont pas rivalisé d’enquêtes ou de dossiers spéciaux
sur le sujet, mais le vrai débat est possible. Jusqu’à l’intérieur d’un
même journal où un rédacteur en chef n’a pas voulu en parler tandis que
le responsable du même quotidien en ligne a décidé d’en faire sa « Une
». Tout cela se décide sans heurts et ne mène pas à une cascade
d’anathèmes invraisemblables. Sur la controverse autour du 11 septembre,
la particularité française de recours systématique à l’antisémitisme et
au négationnisme a fort surpris les journalistes norvégiens. Ils ne
comprenaient pas comment on pouvait relier les deux domaines. Le
négationnisme et la remise en questions de la version officielle du 11
septembre n’ont en effet rien avoir entre eux. Si cette dérive est peu
présente en Belgique, elle est fort développée en France et ne se limite
pas qu’au 11 septembre ! L’antisémitisme et le négationnisme sont
devenus des épouvantails, brandis devant toute dissonance idéologique ou
dès qu’est défendue une analyse qui déplaît aux « intellectuels
médiatiques » régnant sur le débat en France.
Si les médias francophones recouvrent de silence votre film,
pensez-vous que leur objectif est d’éviter d’éclabousser une partie des
journalistes ? Que ceux-ci n’aient pas à reconnaître qu'au minimum ils
ont menti par omissions au sujet du 11 septembre ?O.T : Non. Et je ne pense pas qu'ils pourraient le reconnaître parce
que cela ramène à des processus relevant davantage de l'inconscient que
de l'intention. Si l’omission d’informations est réelle, elle peut aussi
être inconsciente. Ce qui me semble être le cas. Une partie du métier
de journaliste consiste à hiérarchiser et sélectionner en permanence.
Ils doivent, en âme et conscience, juger de l’importance ou de
l’insignifiance de tel ou tel élément d’information. Dans ces processus,
nombre de journalistes sont victimes de la fenêtre personnelle qu’ils
ont sur la réalité. Autrement dit, ils fonctionnent d’après un certain
conditionnement. Interrogés là-dessus, ils ne verront pas cela comme un
mensonge par omission mais comme une saine hiérarchisation et sélection
de l’information. Rares sont ceux à qui je serais tenté d’imputer une
intention de falsification pour des raisons idéologiques. Je pense que
l’idéologie à suivre est largement inconsciente : on baigne dedans sans
s’en rendre compte.
« Rares », mais souvent titulaires d’émissions d’informations
télévisuelles. A l’instar de Daniel Leconte (Arte) dont l’intégrisme
pro-américain est implacablement disséqué dans votre film. Concernant
son « travail », peut-on parler « d’inconscience » ou même de
journalisme ? O.T : Non, effectivement. Lorsqu’on voit les sujets produits par Docs
en stock, la société de production de Daniel Leconte, c’est très
orienté et univoque jusqu’au choix des invités pour de pseudo-débats.
Avec Leconte, on se trouve dans des choix conscients qu’on peut
assimiler à de la mauvaise foi. Un « débat » où aucun invité n’a une
opinion contraire à celle du présentateur (Daniel Leconte, ndlr), où
tout le monde s’entre-congratule en répétant : « C’est fou ce que vous
avez raison ! », ce n’est plus ce que j’appelle un débat. Et lorsqu’on
constate qu’une majorité des intervenants - au pseudo-débat et dans les
documentaires diffusés - font partie d’un même cercle idéologique
néoconservateur, identifié et tout à fait identifiable, j’estime qu’on
n’est plus dans le journalisme mais dans la propagande.
Votre film est désormais visible sur le net, vous attendez-vous à être diabolisé ?O.T : Je n’en ai aucune idée. L’avenir nous le dira. Si certains
médias traditionnels décident de parler du film, il ne serait pas
étonnant que je sois rangé dans un camp. Or, je ne me sens appartenir à
aucun camp. Si j’ai des relations avec des personnes considérées comme
des « conspirationnistes », cela ne fait pas de moi un militant de leur
cause. Je me sens davantage militant du journalisme que d’une position
tranchée au sein de cette controverse. Ce que je défends, c’est une
pratique du journalisme telle que je la conçois et non telle que je l’ai
vu pratiquée pendant dix ans sur le 11 septembre. Il est assez
malheureux d’être forcé d’aller jusqu’en Norvège pour trouver des
personnes qui tiennent un discours sur le métier qui devrait être celui
de n’importe quel journaliste ! Tout journaliste devrait avoir pour
instinct naturel de se poser des questions, de ne fuir aucun sujet et de
manier le doute en toutes circonstances. Cela devrait tomber sous le
sens, mais, visiblement, il faut faire des milliers de kilomètres pour
entendre ces évidences ! Et surtout, les voir pratiquées au quotidien
par les Norvégiens sans qu'ils trouvent cela extraordinaire. Normal :
c’est la base du métier ! Dans l’espace francophone, les professionnels
que j’ai interrogés ont complètement perdus de vue ces balises.
Celles-ci sont encore enseignées dans les écoles de journalisme mais
comme une sorte de truc théorique obligatoire. Un peu comme la prière du
soir chez les cathos qui ne pratiquent plus vraiment …
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